Le chercheur David Genevier a fait un travail très intéressant en comparant les plans de deux structures anciennes, de lieux, de traditions et de presque mille ans d'écart : la Grande Mosquée de Kairouan en Tunisie, et le plan le plus ancien de l'ancienne synagogue de Doura-Europos, en Syrie. Ses découvertes ont des implications culturelles et métrologiques très intrigantes.
Doura-Europos
Doura-Europos était une ville construite sur les rives de l'Euphrate, en 300 av. Au milieu du IIIe siècle après J.-C., la ville fut assiégée, capturée et finalement abandonnée. Tous ses citoyens ont été déportés et la ville est devenue la demeure des oiseaux et des animaux. Jusqu'à la récente guerre civile syrienne, lorsqu'il fut malheureusement détruit, le site était d'une grande importance archéologique. Il contenait, entre autres trésors, les vestiges d'une ancienne synagogue, découverte en 1932. Il y avait un parvis, une maison d'assemblée, de nombreuses peintures murales et un sanctuaire de la Torah dans le mur ouest face à Jérusalem. La dernière phase de sa construction date de 244 après JC.
Kairouan
La Grande Mosquée de Kairouan, ou Uqba comme on l'appelle aussi, est une immense et magnifique structure en Tunisie. Elle fut construite lors de la fondation de la ville en 50 A.H., ou 670 A.D., par le général et conquérant arabe Uqba ibn Nafiand, sous les ordres du calife Mu'awiya I, à Damas.
Kairouan était essentiellement un avant-poste militaire dans un coin éloigné de l'immense empire qu'était le califat omeyyade. C'étaient des temps dangereux et la ville était souvent attaquée. Pourtant, il était également important en tant que centre religieux et servait de base non seulement pour maintenir le pouvoir militaire, mais aussi pour convertir les Berbères à l'islam. La mosquée de Kairouan aurait été très importante. Le calife Mu'awiya I aurait également construit une mosquée sur le mont du Temple, à Jérusalem, selon des sources médiévales. Il a dû jouerun role dans la planification de la nouvelle mosquée de Kairouan.
Kairouan est l'un des plus anciens lieux de culte du monde islamique et est toujours considéré comme le quatrième lieu saint de l'islam. Elle a longtemps été un centre de la pensée et de la science islamiques, jusqu'au déclin de la ville au XIe siècle. La première structure n'a duré qu'une vingtaine d'années car elle a été détruite par les forces chrétiennes berbères. Kairouan faisait partie d'un immense empire qui s'étendait de l'Asie centrale à l'Espagne, gouverné par la dynastie des Omeyyades à Damas. Après la prise de pouvoir abbasside, en 760, c'est en Espagne, en effet, que l'unique survivant du meurtre de masse de la famille Umeyya, sillonne l'Afrique du Nord, et s'installe finalement à Cordoue. Là, Amir Abd El-Rahman y établit son propre califat, en opposition aux Abbassides. L'histoire de son évasion est merveilleusement racontée dans un roman d'Anthony Fon Eisen, Le Prince d'Omeyya.
Quelques années seulement avant la fin désastreuse du règne des Omeyyades, vers 724, des ordres sont arrivés à Kairouan du calife de Damas, Hisham ibn Abd al-Malik, pour développer davantage la nouvelle ville. Alors la mosquée qui s'y trouvait, la toute première, a été démolie et reconstruite, à l'exception du mihrab. C'est cette toute première empreinte issue des fouilles archéologiques que David Genevier a comparée au plan de l'ancienne synagogue de Doura-Europos.
Le contour en noir représente le plan au sol de la Mosquée de Kairouan, et le contour en orange la Synagogue de Dura-Europos. Comme vous pouvez le voir, les deux plans semblent très bien correspondre dans leur forme et leurs proportions, bien que les tailles soient différentes. Cela suggère la possibilité d'un modèle commun. De plus, le rapport entre les deux structures différentes en termes de taille est de 14/3. Cela suggérerait un lien en termes soit d'unités de mesure utilisées, soit de nombre d'unités utilisées, dans des unités de mesure liées les unes aux autres par un tel rapport. David a suggéré que l'architecte de la mosquée ait utilisé les plans de la synagogue de Dura-Europos, qui auraient été en pieds romains, et adapté les mesures aux unités arabes. Les dimensions de la mosquée en 670 auraient été de 103,68 m x 76,80 m, soit 27 qasab x 20 qasab. La longueur de la synagogue était de 22,22 m, soit 75 pieds romains. David soutient qu'en soi, cela fournit un lien théorique potentiel entre les unités de mesure romaines et arabes, et par extension, avec les unités égyptiennes et mésapotamiennes également.
Metrologie
27 qasab = 200 coudées Nippour = 324 pieds arabes = 198 coudées royales égyptiennes = 336 pieds grecs = 350 pieds romains = 36000 grains sumériens.
David donne 0,32 mètre pour le pied arabe, qu'il relie au côté de la base de la Grande Pyramide, il y a 720 pieds arabes à l'intérieur, ou 60 qasab.
1 qasab correspond à 3,8400 mètres, soit 12 pieds arabes.
Le qasab est une ancienne mesure arabe de longueur et de volume, qui se traduit par "canne".
1 coudée Nippour = 0,5184 m
1 pied romain = 0,2962 m.
1 pied romain = 4/7 coudée Nippour, et 1 pied romain = 4/7 x 99/100 coudées romaines = 99/175 coudées romaines
David a notamment remis en cause le ratio 25/27 entre pied arabe et pied romain. Au contraire, le pied romain doit être considéré comme 27/25 x 6/7 pieds arabes.
Avec 11,66666 pouces pour le pied romain, le multiplier par 6/7 donne 10 pouces et 27/25 donne 10,8 pouces. Il s'agit de l'unité "U", décrite par Flinders Petrie dans son article de 1911.
Ou à partir d'un pied romain de 11,664 pouces, la même chose fonctionne avec une multiplication supplémentaire par 4375/4374.
Ce dernier rapport est celui qui unit les deux versions de la valeur "k" de Berriman, soit 1,296 ou 1,296296296. Il réunit également deux valeurs communes pour le chiffre : 0,729 et 0,729166667 pouces.
Comme l'a dit David Kenworthy :
"Il provient des 3 versions du compteur tous les 54 chiffres comme
4374 4375 4400
39.366 39.375 39.6"
Comme le souligne David Genevier, 4375/4374 = 25^2/27^2 x7/6 , donc ce rapport est central pour la conversion entre les pieds arabes et romains.
David Genevier rappelle que la coudée Nippour x 99/100 donne la coudée royale égyptienne. Cela fonctionne avec 0,5184 m et 0,513216 m, ou avec 20,412" et 20,6181818".
Pour en revenir aux dimensions des deux ouvrages, à Kairouan et à Dura-Europos, la longueur de 27 qasab soit 103,68 m est de 5600 doigts de 0,0185 m, soit le chiffre de 0,729 pouces anglais. Et on retrouve le nombre 27 dans le rapport entre les deux côtés du rectangle, puisque 103,68 x 20/27 = 76,80.
1 qasab q, s'il mesure 103,68/27 = 3,84 m, est aussi ce chiffre, mais de 0,0185185185 m, et non 0,0185 m, multiplié par 12^4 / 100. Ce chiffre de 0,0185185185 m est une mesure trouvée par Héron, selon Letronne. Ce chiffre est simplement une fraction d'une circonférence de 40 000 000 m (40 000 000 / 2 160 000 000 = 0,0185185185), et multiplié par quatre donne une paume, par douze un spithame et par seize un pied.
3,84 m le sont aussi, si le chiffre de Héron vaut 0,0185185185 m, 2,88 orgies, 1,08 acènes ou 0,0216 stades. Et les 76,8 m sont, entre autres, 28,8 x 2 orgies. 76,8 mètres font également 146,66666 coudées égyptiennes de 20,6181818 pouces. Et cette coudée, multipliée par 146,6666, divisée par 2 donne le qasab de 3,84 m. Il est clair que toutes ces mesures sont liées les unes aux autres. Et les 3,84 m représentent 5,6 fois une mesure intrigante de 27 pouces anglais (avec 39,375 pouces au mètre).
Il existe des liaisons avec le système anglais aussi 3,84 m soit 12,6 pieds anglais, soit 4,2 yards. Le yard anglais mesure 36 pouces, soit 14,4 x 24 x 0,72916667 / 7 pouces = 12 x 12 x 12 x 2 x 0,729166667 / 70 pouces, et le pied anglais = 115,2 / 7 x 0,729166667 pouces. On dirait que ce mètre est le septième de quelque chose. Ces 3,84 mètres sont 0,6 x 7 = 4,2 verges.
La largeur de 20 qasab ou 76,8 m divisé par 6,4 = 12.
La longueur de 27 qasab ou 103,68 m divisé par 6,4 est 16,2.
Le pied royal assyrien et persan de Mauss de 0,658285 m se prête bien à 3,84 mètres aussi, car 35/6 de ces pieds font 3,84 m. Et puis il y en a plein d'autres, 3,84 m soit 0,7 "U", 7 coudées ouvrières, 6,666 "coudées de l'arroseur", 7,1111 coudées de fer / coudées noires / coudées de tissu, 6 coudées hashémiques.
La coudée Nippour de 0,5184 m ou 20,412 pouces est en effet liée à la coudée royale égyptienne de 20,6181818 pouces ou 0,5236363636 m, par un rapport de 99/100.
Coudée royale assyrienne x 175/220 = coudée royale égyptienne
25,92 x 175/220 = 20,618181818 (pouces)
25,92 x 7/22 x 4 = MY pouces 32,989 (2,74909 pieds)
25,92 x 7/22 x 10/4 = 20,6181818 ERC
25,92 x 700/2 = 9072
Le périmètre de base du GP est de 14 000 coudées royales assyriennes, si vous acceptez 9 072 pouces, ou 230,4 mètres, par côté de base, un peu plus grand que l'estimation de Flinders Petrie de 9 068,8 pouces. Avec pi égal à 22/7, la hauteur en coudées royales assyriennes est de 4900/22 = 222,72727.
1 coudée Nippour x 400/99 x 22/7 = 1 coudée royale assyrienne.
La largeur de la mosquée de Kairouan est de 76,80 m. Avec des varas de Séville de 0,864 mètre, ce serait 100 x 8/9.
Les unités de mesure du Moyen-Orient étaient utilisées en Europe occidentale, dans des pays comme la France et l'Espagne, et étaient en fait acceptées comme normes. Ce fut le cas, par exemple, lorsque Charlemagne, empereur des Francs, accepta comme base de son système une unité arabe.
Dans Aperçus de l'évolution des poids et mesures et du système métrique, (1857) William Hallock écrit :
Pour l'origine des étalons de poids en France, il faut remonter aux Arabes, car la base de l'ancien système français est réputée être un yusdruma arabe, qui fut envoyé par le calife Al Mamun (786-833) à Charlemagne. Cette yusdruma, ou plus tard livre arabe, était la livre monétaire ou livre esterlin de Charlemagne, et s'élevait à 5666 grains 1/4, soit 367,128 grammes. Il était divisé en 12 onces, ou 20 sols, de 12 deniers, de 2 obolwa de 12 grains, soit 5760 grains au total, chaque grain pesant 0,063738 gramme. (1)
(Suit une note : « Le nom « esterlin » a été employé à un moment donné dans la langue française pour signifier « vrai », étant équivalent au mot Fr. moderne « véritable ». Il a cependant disparu de l'usage, mais a été retenu en anglais, avec la même signification, sous la forme de "sterling", comme, par exemple, "pounds sterling".")
Il est donc curieux que, bien que le grand-père de Charlemagne, Charles Martel, ait remporté une victoire décisive contre une invasion omeyyade de l'Aquitaine, Charlemagne lui-même a accepté une norme du Moyen-Orient comme base d'un système de mesure français des successeurs des Umeyya, les Abbassides. Cette norme a reçu le nom "esterlin" pour indiquer son authenticité.
Étoile du lever et du coucher du soleil
Une autre chose intéressante est que la Grande Mosquée de Kairouan a un azimut de lever de soleil de 59,99° et un azimut de coucher de soleil de 300,01° au solstice d'été. Voir ici.
Ce serait donc comme si le soleil se levait à la pointe d'un grand hexagone, ou étoile à six branches, à travers le pays, puis se couchait dans un autre. En fait, le cadran solaire de la mosquée a la forme d'un hexagone.
Peut-etre cette forme serait expliquée par le mouvement du soleil au solstice d'été.
Ailleurs sur cette latitude, le palais du Golestan de Téhéran correspond également à ce schéma.
J'ai recherché les informations sur le lever du soleil du solstice d'été pour Cordoue - parce que c'est là que le dernier prince de l'Umeyya s'est installé. Il y avait une autre étoile à six branches, mais pas aussi précise. Vous voudriez un azimut de 60 degrés presque parfait pour le lever du soleil, mais c'est 58,98. J'ai vérifié les valeurs historiques de l'obliquité de la Terre et cette étoile du solstice d'été aurait été à peu près parfaite dans le passé ; l'obliquité aujourd'hui est de 23,44 degrés, diminuant à un taux de 0,013° par siècle, je crois, et l'angle d'obliquité requis serait de 23,53°, donc il y a environ 31 siècles, un lever de soleil de 60 degrés à Cordoue aurait parfaitement fonctionné.) Peut-être que Kairouan était considéré comme un marqueur mis à jour pour un endroit où le soleil s'est levé et s'est couché dans les pointes d'une étoile à six branches au solstice d'été, après Cordoue.
Il y a donc beaucoup de choses fascinantes à discuter à la suite des découvertes de David Genevier, à la fois historiques et métrologiques.
Photos
David Genevier a visité Kairouan récemment et il a eu la gentillesse de partager certaines de ses photos de la mosquée. Il transmet vraiment un sens de l'espace et de la paix. Elles sont aussi très intéressantes car on devine les contours de la première mosquée, et les schémas de David les présentent clairement. Il y a plusieurs photos de l'immense cour, et du beau cadran solaire. La première photo ci-dessous est de la fouille, et le schéma ci-dessous montre la limite de la première mosquée avec une flèche verte. Voir ci-dessous. Ensuite, les deux sont mis ensemble pour illustrer cela. Merci David!
Bibliographie
Hallock, William, 1857, Outlines of the evolution of weights and measures and the metric system, the Macmillan company, New York
Mauss, C, 1892, “L’ÉGLISE DE SAINT-JÉRÉMIE A ABOU-GOSCH OBSERVATIONS SUR PLUSIEURS MESURES DE L’ANTIQUITÉ (Suite).” Revue Archéologique, vol. 20, 1892, pp. 232–53. JSTOR, http://www.jstor.org/stable/41747039. Accessed 6 June 2023.
Letronne, Jean-Antoine, 1851, Recherches critiques, historiques et géographiques sur les fragments d'Héron d'Alexandrie our du systeme métrique égyptien, Imprimerie Nationale, Paris
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